mardi 18 septembre 2012

Petite histoire de la bulle immobilière française


Par Seb Musset et Rémi Andréoletti. Enquête de Rémi Andréoletti. 

Les prix de l’immobilier en France sont trop déconnectés du salaire moyen pour être économiquement honnêtes. C'est donc une bulle. L’affirmer il y’a quelques années encore vous classait illico dans la case hérétique, les cas de crédits sur 30 ans pour des maisons dont personne n'aurait voulu au tiers du prix 20 ans plus tôt se propageant dans une contagieuse euphorie entre 2000 et 2010.

Pourtant. Si la presse continue à perpétuer le mythe de l’enrichissement par l’immobilier avec une dévotion n'ayant d'équivalent que la puissance financière de ses annonceurs, peu à peu, de plus en plus de joyeux propriétaires d'hier se réveillent avec la gueule de boisgarrotté par les remboursements.

La croyance en un parpaing qui, pour peu qu’il soit rehaussé d’un 'zoli bibelot, verrait sa valeur doubler tous les trois ans jusqu’à la nuit des temps a des ratés.

Les professionnels ne l'esquivent même plusles prix déclinent. Jusqu'où et pour combien de temps ? Là n'est pas notre sujet. Penchons-nous plutôt sur le pourquoi du comment d'une telle emballée. A la différence d'autres économies occidentales, la bulle immobilière française a ses particularités.

Notons sur cette courbe de Friggit que, à l'exception de la crise de 1990, les prix de l’immobilier sont plus ou moins stables rapportés aux revenus disponibles des ménages de 1965 à 1998.
Les prix décollent une première fois de 1998 à 2003. Puis, de 2003 à 2008 ils entament une seconde phase d’accélération plus prononcée jusqu’au contrecoup européen de la crise des "subprimes". Mais, à la différence des autres pays où l’immobilier ne se redressera pas, chez nous les prix repartent à la hausse moins d’un an après, jusqu’au premier trimestre 2012 où ils redescendent.

Passons en revue quelques hypothèses pour expliquer la montée continue des prix des 15 dernières années.

1e hypothèse:
La pénurie de logements (due à l'augmentation des divorces, des familles mono parentales et des célibataires...)

Si l'on focalise sur les divorces, l’INSEE nous informe qu'ils ont augmenté de 50% en 15 ans et passent de 100.000 à 150.000 / an. Voilà qui impliquerait approximativement un besoin de 150.000 logements par an.

Toujours selon l’INSEE, en 1990 la France comptait 26.2 millions de logements pour 21.5 millions de ménages (soit un ratio de 1,12). En 2010, La France compte 30.6 millions de logements pour 26.4 millions de ménages (soit un ratio de 1.16, avec des ménages de plus en plus petits). Reste un excédent de 16% (logements vides, en travaux, censés permettre la mobilité, la rotation).


Le taux de disponibilité  logements / nombre de ménages est relativement constant depuis 20 ans. On construit à peu près autant que la population se développe. Pour l'année 2010, la France a crée 131 509 logement sociaux. Ce chiffre cache tout de même de grosses disparités territoriales, Paris et l'Ile-de-France ayant bien moins bénéficié de nouvelles constructions que le reste du pays depuis 10 ans. Les changements de comportements sociologiques n'auraient donc pas entraîné la montée des prix. Du moins à première vue. Car les divorces sont souvent synonymes d’urgence, d’augmentation du volume des transactions, avec au milieu le doux son des sous du crédit et de ses intérêts. Voilà qui nous conduit à l’hypothèse 2.

2e hypothèse:
Les intérêts des prêts sont intégrés dans le prix des biens lorsqu’ils sont revendus (ou, la maison devenant un bien de consommation courante, à la fois ascenseur social et "investissement sécurisé", acheté et revendu tous les 5 ans).

La grosse arnaque commence ici. La pire puisque chacun jusqu'au dindon de la farce est complice

Exemple: Un couple achète un appartement à 170.000 euros en 1999. La totalité du prêt représentait environ 100.000 euros sur 20 ans. Les intérêts sont remboursés d’abord, les prix montent, l'appartement est revendu et le vendeur empoche une petite plus-value. A l’aide d’un prêt relais, c'est une maison qui est rachetée dans la foulée par le couple, mais cette fois avec un prêt sur 25 ans. Rebelote sur le même principe 5 ans plus tard pour une maison plus grande, plus chère, avec cette fois un crédit sur 30 ans. La croyance s’auto-alimente et contamine l’entourage tant que les prix gonflent, et les prix gonflent plus on est nombreux à y croire. On comprend dès lors que tout le discours médiatique (payé par la publicité, des promoteurs et des banques, voire des notaires) aille dans ce sens. Tout le monde y gagne: la banque, le promoteur, le notaire et l’emprunteur, sauf que ce dernier s’endette de plus en plus lourdement sur des périodes plus longues. On saisit également comment de faibles revenus, jeunes et sans véritable visibilité professionnelle, se retrouvent "propriétaires", spécialement s’ils ont bénéficié d'un coup de pouce parental initial (cette mise qui permet rentrer dans un casino du béton d’où l’on est censé sortir gagnant à tous les coups). Dans cette mécanique, les intérêts bancaires sont "réinjectés" à chaque fois dans le tarif du bien suivant. Cette période s’étend de 2002 à 2008 et concerne d’abord les trentenaires et les jeunes actifs, formant un ensemble idéologique avec des propriétaires plus âgés et / ou plus riches. C’est à eux que Sarkozy s’adressait lors de la campagne de 2007 avec sa "France des propriétaires".

Exemple idéal durant cette période: En 2002, un prêt de 170.000€ (soit une somme empruntée totale, intérêts inclus de 280.000€) sur 20 ans représente environ 280.000/(20*12) = 1166€/mois de remboursement. Il faut donc 110.000/1166 = 94 mois soit 7,8 ans pour rembourser les intérêts en supposant que le prix du bien n’ait pas évolué et qu’il n’ait pas été vendu entre temps. Mais avec l’inflation des prix, si le bien est revendu 5 ans plus tard, soit en 2007, le bien a pris environ +60%, soit 278.000€. S’il est revendu en 2007, le propriétaire aura dépensé 5*12*1166€ = 70.000 €, donc gagné 278.000-70.000-170.000=+38.000€ (environ)

Problème: Malgré la croyance que les arbres montent au ciel, la réalité du propriétaire endetté est brouillée au quotidien par un impératif croissant de mobilité professionnelle, la généralisation des divorces (on y revient), la stagnation des salaires et la montée continue du chômage et ces remboursements de plus en plus longs. La clientèle cible est aujourd’hui bloquée: isolement géographique, baisse du niveau de vie, augmentation des charges énergétiques, impossibilité d’accéder à plus grand ou couples divorcés contraints de vivre sous le même toit

Précision de taille contribuant à soutenir la hausse durant cette période: Seuls les agences immobilières ou les investisseurs disposant de liquidités ont alors connaissance des offres ou sont en mesure de racheter des biens à prix cassés dans les situations d’urgence où les couples doivent vendre (biens que vous ne verrez jamais en agence), pour les revendre à leur tour au "prix du marchéc’est-à-dire à celui de la bulle.

3e explication:
Le passage à l’euro.

On l’accuse de tout, pourquoi pas de la montée des prix de l’immobilier? A priori la monnaie unique n’y est pour rien puisque La France bascule dans l’euro en janvier 2002, soit 4 ans après le décollage des prix. Sauf que…

"Nous aurons trois ans pour passer progressivement à l’euro de 1999 à 2002. C’est une période qui peut sembler longue, mais qui me parait en fait très utile pour que chacun bascule à son rythme. Ceux qui voudront utiliser l’euro dès 1999 pourront le faire. Cela concernera probablement davantage les entreprises pour lesquelles une option « tout euro » a été créée."

in "plan national du passage à l’euro" publié par le Ministère de l’Economie, le 3 juillet 1998.

Avançons alors deux hypothèses:

- La première pente hors du tunnel de Friggit (première montée avant la grosse montée de 2002) serait-elle liée à une anticipation, une peur, des professionnels et des fonds de pension achetant massivement dans les grandes villes nécessaire à amorcer les prix? Ce mouvement serait couplé aux investissements des particuliers aisés qui vont anticiper le passage à l'euro en achetant dans la pierre pour sauvegarder leur patrimoine.

- La seconde pente à partir de 2002 répondrait, elle, à l’arrivée massive des particuliers "lambda" voyant les prix monter suite aux investissements immobiliers des professionnels et des ménages fortunés  (Rappelons le contexte: marasme boursier à base de krach de bulle internet + effet 11 septembre: la pierre apparaît plus que jamais comme une valeur refuge)

L’euro n’aurait donc pas d’effet direct, mais la crainte du passage à l’euro en aura eu un, psychologique, affectant en "avant-première" autorisée les professionnels puis, les particuliers aisés et enfin le commun des mortels. Ces derniers sont alors encouragés par les professionnels: pour que l’investissement soit rentable pour eux il faut que le gogo achète à prix d’or pour soutenir le marché. Ce deuxième effet de "croyance" (à partir de 2002) se retrouve renforcé par la réinjection des intérêts évoquée dans l’hypothèse 2. A partir de 2002 l’immobilier devient d'ailleurs un sport national, le logement un "projet immobilier". Les émissions télévisées sur l’achat, la vente, la décoration, le home-staging font leur apparition en prime-time. Les agences immobilières se multiplient alors dans toute la France, des rues de Paris aux villages les plus reculés, on l'on en compte plus que de boulangeries et de charcutiers. La machine à faire des bulles s’emballe.

4e hypothèse: 
Les fonds de pension continuent à acheter.

Les fonds de pension ne s’entichent pas seulement des entreprises en exigeant des taux annuels à deux chiffres, mais continuent à investir dans les grandes villes européennes à partir de 2008 notamment à Paris (voir ici P.21 à 40) où les prix doublent en quelques années (ce qui renforce la confusion dans les esprits: on voit encore de la fièvre immobilière partout, alors que la situation en province n’est déjà plus aussi flamboyante).

5e hypothèse:
L’arrivée des étrangers sur le marché français.

La France est LE pays du tourisme (81.4 millions en 2011), également prisé pour l’investissement immobilier des classes moyennes supérieures et classes supérieures étrangères. Si à Paris, la pression des acheteurs étrangers se fait sentir dans certains quartiers, le tourisme y aura un autre dommage collatéral bouleversant l’offre locative. Le revenu moyen local ne permettant plus d’accéder à la location au tarif croissant auquel se sont habitués les bailleurs en "zones tendues", ils louent désormais aux touristes, se substituent aux hotels et le prix du mois devient celui de la semaine.

Les achats immobiliers par des étrangers ne représentent, eux, que 4% des transactions conclues chaque année en France (env. 44.000 – 72% sur de l’ancien pour un prix moyen de 250.000 euros, principalement en Paca et Ile-de-France). De plus, certaines zones de province étaient aussi investies par des étrangers avant les années 1990 (Ardèche, Périgord, Poitou…) sans que cela n’entraine de montée des prix. L’arrivée des étrangers a elle seule n’explique pas non plus la hausse nationale des prix des dix dernières années.


Interlude:
Nous sommes en 2008, peu après le krach boursier, l’immobilier français aurait dû théoriquement suivre le mouvement et éclater à ce moment comme ce fut le cas aux Etats-Unis et en Angleterre. Nos prix chutent, mais peu de temps. Les banques baissent leurs taux d’intérêt et réamorcent la bulle. A cette époque, ceux disposant de cash ou de la majeure partie de l’apport sont doublement avantagés: prix + taux ont baissé.

6e hypothèse: 
Les aides fiscales à la pierre ou "De l’importance d’un Nicolas Sarkozy pour maintenir une indécente bulle immobilière".

En 2007, ceux de la tranche 25-40 qui devaient être propriétaires l’étant déjà (sauf quelques cas sociaux qui font des blogs), le gouvernement de droite doit à tout prix soutenir les prix de l’immobilier (pour contenter son électorat) en attaquant les tranches précarisées ou récalcitrantes des jeunes et des vieux. En parallèle aux Scellier, Bouvard et autres produits de défiscalisations, sont lancés "la maison à 100 euros" et le "PTZ+" (prêt à taux zéro) accomplissant cet exploit marketing de faire d’un prêt un apport[1]. Les jeunes s’achètent du pavillon low-cost à obsolescence programmée et les ménages aisés un deuxième ou un troisième bien avec une ristourne subventionnée. Via le PTZ, l’Etat offre aux banques un enrichissement supplémentaire sur fonds publics et favorise l’endettement de gens potentiellement insolvables pour qu’ils accèdent à la propriété de biens ne trouvant pas preneurs autrement.

Nous arrivons à la fin du parcours, c'est à dire à la fin du délire. Les aides fiscales sont finies ou en passe d’être terminées, l’endettement des ménages est au taquet, les ménages les plus aisés n’achètent plus, ralentissent leurs transactions, un effort national sur le logement social est dans la rampe de lancement. Le marché est saturé. L’endettement de la tranche 30 / 40 ans est acquis. Les jeunes primo-accédants et les plus de 60 ans ont acheté en masse avant la fin du PTZ et des défiscalisations. Tous les leviers pour soutenir la bulle ont été actionnés: rallongement des prêts, baisse des taux, défiscalisations tous azimuts. L'INSEE indique que le niveau de vie des Français diminue. Les prix de l’immobilier partent à la baisse, même en Ile-de-France. Le nombre de constructions chute de 12% sur tout le territoire au premier trimestre 2012. Les agences immobilières ferment les unes après les autres tandis que les multipropriétaires ne veulent pas encore brader leur bien. A Paris, on constate 22% de transactions en moins cette année, mais les prix s’y tiennent encore artificiellement: moins de demandes, mais aussi moins d’offres affichées.

Conclusion:
La bulle immobilière française n’est pas comme les autres. Plus longue, plus soutenue, elle n’a pas une raison, mais des raisons. Si l’avidité généralisée a son poids, on y trouve aussi des motifs psychologiques, un mélange de craintes et de manipulations sur fond de croyances, puis, en fin de ligne, un soutien fiscal appuyé du précédent gouvernement. La conséquence la plus dramatique de cette bulle étant que dans cette période le nombre de mal-logés a explosé. La fondation Abbé Pierre estime à 10 millions (1 français sur 6) le nombre de personnes affectées par la crise du logement (du SDF aux familles en suroccupation ou en situation de précarité énergétique, jusqu'au salarié dormant dans sa voiture...). 

Descriptif des bulles successives appliquées à la courbe de Friggit (cliquer pour agrandir):

La question de la pénurie, avancée par chaque politique pour expliquer l’inaction dans le domaine du gouvernement précédent, est une piste valable pour une poignée de territoires et cache le fond du business-model des 15 dernières années: faire monter les prix coûte que coûte pour compenser psychologiquement la stagnation des salaires. Les banques y encaissaient pépères des intérêts, le politique s’assurait un climat social apaisé.

Cette époque est révolueLa question n’est pas de savoir si un krach aura lieu, mais quelles seront son amplitude et sa durée. On peut juste subodorer que la suprématie idéologique du "propriétaire endetté" hurlant au locataire qu'il jetait son argent par les fenêtres va être chahutée, que les banques vont également profondément repenser leur activité dans le domaine et fortement en diminuer la proportion.

[1] Arnaque du PTZ+, le prêt directement payé à la banque par l’état au début décale d’autant le reste du remboursement, les intérêts deviennent des pénalités (les intérêts du prêt à taux zéro). 

4 commentaires:

  1. Dans ma ville, une métropole régionale, je vois des biens à vendre ou à louer depuis... des années ! Et ça commence à craquer salement par tous les bouts. Cf deux textes récents sur mon blogue. http://partageux.blogspot.com

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  2. Je n'avais pas vu la vidéo. Je la recommande à tous les lecteurs. Rigolote mais instructive. ***;o)

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  3. dans ma ville il y a beaucoup des imobilier de vendre mais pour le moment la situation est pas bien d'acheter

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