vendredi 23 novembre 2012

La fracture générationnelle du logement


Étrange.

Durant les 2h15 de la récente conférence de presse de François Hollande, de logement il ne fût question à aucun moment. Pas plus dans son exposé que dans les questions des journalistes.

Faut-il en tirer la conclusion que ce joli monde considère que tout va bien. Vivent-ils dans un monde parallèle où l'on peut gambader de pièces en pièces sans se soucier du loyer à régler ? Ont-ils une idée arrêtée sur le sujet ? Serait-elle: "Jeunes, il faut s'en remettre au marché. Lui seul sait. C'est dur, mais c'est comme ça, et nous, vieux possédants, aurions trop à perdre à changer radicalement la donne. Mais ne vous plaigniez pas: vous avez la vie devant vous, hein" ?.

Cet assourdissant silence est en total décalage avec la priorité numéro un des jeunes Français comme le révèle, sans surprise, le sondage CSA-Polylogis (bailleur social) sur "les jeunes et l’accès au logement" réalisé auprès de 18-29 ans:

"Plus d’un tiers des personnes interrogées (35%) désignent le logement comme l’élément le plus prioritaire dans leur situation personnelle"Se loger" apparaît au même titre que "se nourrir" (30%) comme un besoin essentiel, dernier rempart contre l’exclusion sociale et la pauvreté. Le travail (25%) arrive en troisième position."

Le logement arrive avant la nourriture et le travail. En langage technique, on appelle ça: UNE PUTAIN D'URGENCE.

79% des jeunes sondés "estiment qu’il est difficile de trouver un logement pour un jeune aujourd’hui en France" dont 28% jugeant la situation "très difficile" (la moitié d'entre eux en région parisienne).

L'enquête souligne au feutre gras la conséquence du violent décrochage des prix des loyers en 10 ans par rapport aux salaires. 71% des jeunes identifient les garanties à apporter au propriétaire ou à l’agence comme le principal obstacle à surmonter pour trouver un logement. Les jeunes ont le sentiment de "faire face à une situation sans précédent". 80% estiment qu'ils "ont aujourd’hui plus de difficultés pour trouver un logement que leurs parents quand ils avaient leur âge". Tu m'étonnes.

Dans le détail le sondage CSA-Polylogis nous apprend que sur les 68% de jeunes ayant une autonomie résidentielle, 46% sont locataires, 19% sont propriétaires. 3% déclarent vivre en colocation.


En croisant ces chiffres avec ceux d' une autre enquête, publiée la veille par le courtier Empruntis, révélant qu'il faut désormais un apport de 50.000 euros et un salaire minimum de 4000 euros pour acheter, cela signifierait que 19% des 18-29 ans disposent, en plus d'un revenu bien au-dessus de la moyenne française, de parents très généreux, ou alors ont hérité d'une maison. Tant mieux pour eux. Malheureusement, ils sont largement minoritaires. Pour les autres, c'est la galère.

Parmi les 68% autonomes de l'enquête CSA-Polylogis sur les jeunes, un tiers (32%) connaît des difficultés pour faire face à son loyer ou à ses remboursements de crédit. Et face à ces difficultés, 43% ont déjà envisagé de retourner vivre chez leurs parents, et 13% y sont effectivement retournés.

Dans les pistes évoquées par le sondeur pour améliorer la situation 43% des jeunes estiment qu’il faudrait assouplir les règles de constitution des dossiers pour les locations (Quoi ? Il serait fou de demander un revenu de 6000 euros pour louer une chambre de 20m2 ? Et bien non, pas en France). 32% des personnes interrogées évoquent ensuite la construction de nouveaux HLM et l’encadrement du niveau et de l’évolution des loyers dans le parc privé (32%) devant l’augmentation des aides sociales (27%).

Si j'étais sondeur, j'aurais pour ma part évoqué des pistes un peu plus radicales dans la liste des choix pour provoquer "un choc d'offre" à moyen terme, comme la taxation progressive des logements vacants puis leur réquisition pure et simple au bout de quelques années. 

Notons que l'augmentation du nombre de constructions réservées aux primo-accédants à la propriété (18%) est la dernière solution citée par les jeunes. Ce dernier point coïncide avec la conclusion de l'enquête Empruntis diagnostiquant un blocage du marché immobilier. Les fameux primo-accèdants ont quasiment disparu des agences immobilières et les transactions s’opèrent désormais entre propriétaires. 

Résumons. Les 18-30 sont dans une merde noire au niveau du logement. S'en sortent d'abord ceux qui sont aidés, d'une façon ou d'une autre, par leurs parents. Parents disposant parfois de revenus conséquents via un excès de patrimoine remis en location en agence. Le duo agence / propriétaire exige à son tour des conditions impossibles à remplir pour les jeunes aspirants locataires. La boucle est boucléeDégagés de l'accession à la propriété (par la montée des prix dont à bénéficié la génération du dessus), les jeunes sans revenus garantis (qu'ils travaillent ou non) ni aides parentales (la majorité d'entre eux) sont aussi méthodiquement dégagés de l'accession à la location (qui bénéficie prioritairement à la génération de leurs parents). 


Vers quel marché se retournent alors les proprios soucieux de leurs rentes et de leur confort ? Celui de la location saisonnière par exemple. 

Introducing la 3e étude de la semaine (l'annonce de la loi Duflot stimule-t-elle la fièvre statistique des acteurs du secteur). Celle-ci est commandée par l'association France Meublés regroupant les bailleurs de "meublés" défiscalisés. Nos proprios sont inquiets de ne plus pouvoir louer aussi librement leurs biens pour des baux courts comme avant (à savoir aux cadres en mission et aux touristes, locations à des tarifs prohibitifs pour toute autre catégorie le prix au mois devient celui à la semaine). Cette martingale étant en plein boom, on peut même se demander si les bailleurs ont envie de revenir en arrière louer à une clientèle locale bien moins rémunératrice ? Pour avoir écumé quelques agences et sites l'an passé, je peux affirmer que non.

Selon le sondage réalisé par Opinion way, le secteur représenterait sur Paris 17.000 propriétaires et 20.000 appartements (54.000 contrats / an). Et l'étude d'avancer que 67 % seraient occupés par leurs propriétaires une partie de l'année et n'iraient donc pas en location classique de toutes les façons (ce qui, selon l'association, devrait suffire à pouvoir continuer à les louer à des prix exorbitants et à ne pas les faire basculer en "activité commerciale", plus taxée). 

L'argument de l'occupation ponctuelle par les propriétaires est fallacieux. Il y a un manque de disponibilités de logement sur Paris et l’île-de-France. De plus, le logement n'est pas un bien de consommation comme un autre et, on l'a vu plus haut, une classe d'âge parfaitement consciente des inégalités de répartition le considère comme une priorité. Si la société n'était pas tourneboulée jusque dans l'intime par la logique de propriété, il faudrait prendre le problème à l'envers, pénaliser fiscalement toute inoccupation prolongée de quelques semaines, et personne ne devrait trouver scandaleux.

Mais non. L'association, prenant son envol tel le pigeon zélé avant d'être conviée par Cécile Duflot à participer aux négociations sur le texte de loi, de jouer de son chantage en brandissant des chiffres: si ces biens sont intégrés à la prochaine loi sur les rapports locatifs, "les 100 agences parisiennes spécialisées, dont c'est la seule activité, vont devoir licencier 1.100 salariés directs auxquels s'ajoutent 1.000 emplois indirects (femmes de ménage, gestionnaires, réparateurs, etc.)" déclare l'association.

(les lecteurs du Figaro sont - très - réservés sur la question)

Mais où résident donc ces emplois, et parmi eux les plus jeunes, puisque du fait même de cette lucrative activité des bailleurs soutenant à la hausse le prix du m2 sur Paris, ils sont dans l'impossibilité de se loger à proximité ? Ailleurs. Souvent loin. Dans des zones de vie délocalisées par rapport à l'activité.

Cet exemple est symptomatique du verrouillage du patrimoine à l'oeuvre dans ce pays. Rien ne sert de parler de compétitivité ou de coût du travail tant que la question d'un logement abordable, à la fois financièrement et géographiquement pour tous ceux qui entrent sur le "marché" du travail, n'est pas réglée. Un loyer trop cher, c'est du pouvoir d'achat en moins. Une recherche sans fin d'appartement ou un appartement loin de tout, c'est à l'évidence un frein pour l'emploi. 

En plus d'une politique ambitieuse de construction et de réhabilitation, résoudre cette question, et la question de la répartition générationnel des richesses qu'elle sous-entend, implique d'une façon ou d'une autre de légiférer sur le prix des loyers, de faciliter l'accession à la location, de taxer fortement les logements inoccupés ou sous-occupéet de poursuivre ceux qui abusent, qu'ils soient institutionnels, professionnels ou particuliers. Bref, de remettre en cause, au moins en partie, le sacro-saint droit de propriété.


Illustrations: Le locataire, R.Polanski, 1975

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