mardi 20 décembre 2011

Apocalypsimmo #1

Sens-tu l'odeur du napalm immobilier qui s'abat sur les territoires de France à l'aube de 2012? Non? Pourtant les professionnels de l'immobilier, eux, sont passés en mode tous aux abris. Fin du PTZ+ dans l'ancien, léger retournement conjoncturel et hausse des taux d'intérêt: même le parrain d'un des garçons du président implore le gouvernement pour qu'il vienne en aide au secteur après l'atomisation du Scellier en 2013.

"Compte tenu des besoins en logements, je ne pense pas qu'on [comprendre "je"] puisse se passer des aides publiquesdit le fils Bouygues au gouvernement au moment où ce dernier par la voix de Wauquiez vante les bienfaits d'une suppression des aides aux gens qui ne travaillent pas et tente de persuader les classes moyennes que l'assistanat est "le cancer de la société". 


Écoutons ce que nous dit Jean Perrin, président de l'UNPI, l'union nationale des propriétaires immobiliers, dans une succulente interview vidéo sur lachaineimmo.tv. Il constate un marché locatif à deux vitesses. En substance: Les loyers augmentent encore là où les villes sont dynamiques. Ils baissent de 10% dans certaines villes de province et les petites villes. Les propriétaires commencent à avoir peur. Et drame supplémentaire: des locataires en place commencent à renégocier à la baisse leurs loyers en cours de bail.


Les jours juteux des loyers indécents seraient terminés? Le président des proprios nous alerte d'un nouveau fléau: 


"On s'aperçoit que si les propriétaires ne font pas des travaux avant de relouer les loyers baissent d'une manière certaine. [zut la tuile] Donc on arrive à une situation très dangereuse." [pour les proprios] "Deuxième exigence nouvelle [de la vermine locative], c'est la qualité de la salle de bain.[...] "Ca, c'est des frais importants." [Salauds de locataires qui profitent du retournement du marché pour exiger de l’éclairage et des sanitaires. C'est pas juste!]
"Je ne dis pas que ce n'est pas indispensable" précise-t-il dans une antiphrase involontaire révélant l'étendue de son dépit.


Investir pour le bien-être du bouseux? C'est nouveau pour le proprio habitué à défiscaliser pépère en tablant sur l'exploitation locative éhontée le temps que le prix du truc en parpaings triple en cinq ans.


"...Mais du double vitrage pour un logement, ça peut faire une année de loyer consommée compte tenu du prix de la dépense. Puis après ça, il veut une chaudière aux normes nouvelles, et puis l'isolation". Déplore Perrin.


Car ce corniaud de payeur de loyers, qui décidément ne respecte rien de la croissance de la rente immobilière (le seul ascenseur social français), veut en plus se chauffer l'hiver ! Ah c'est Wauquiez qui a raison: Dans quel monde d'assistés vit-on, je vous le demande ?  


Et lorsqu'on lui fait remarquer que les biens locatifs privés peuvent se valoriser avec des travaux, Perrin répond un raisonné "Vous savez tant que c'est pas vendu, y'a pas de valeur de prisequi fait plaisir à entendre. C'est un argument auquel j'adhère. Argument étrangement inaudible par la majorité des acheteurs hystériques au moment d'acquérir des biens qu'on leur garantissait sur prospectus débiter du loyer exponentiel pour l'éternité tandis qu'ils n'auraient qu'à se tourner les pouces.


Perrin poursuit : "Le propriétaire qui loue, s'il dit "je refais une salle de bain ça va me coûter 10.000 euros". Son immeuble vaut peut-être 5000 ou 6000 euros de plus, mais pas forcément 10.000. Mais s'il ne le vend pas... bah il n'aura rien de plus."


On a longtemps exagéré les situations de mal-logement ainsi que les conséquences sociales et sanitaires de l'explosion de la précarité, l'indécence des loyers privés dans lesquels certains engouffrent parfois les deux tiers de leurs revenus, ou encore les abus des agences et des bailleurs privés. Non. la vraie cruauté qui fait mal au coeur sensible du petit-bourgeois, c'est quand la spéculation immobilière, grâce à laquelle il se la jouait aristocrate terrien, ne marche plus. On devine désarroi et incrédulité dans son regard au moment où, sans qu'il s'explique pourquoi, s'écroulent ses rêves de suprématie foncière articulée à un plan de retraite sous les cocotiers qui serait financé par des armées de jeunes résignés à se faire exploiter.


Jean Perrin insiste d'ailleurs sur les ravages humains de la spéculation: "Les propriétaires, pour ne pas perdre leur avantage fiscal, sont obligés de louer à n'importe quel prix !" Qu'il est tragique toutefois que le propriétaire ne s'alarme de l'indécence des prix seulement lorsque ceux-ci baissent pour lui.


Et Jean Perrin de déplorer la fin de dispositif pour exonérer d’impôt les plus-values immobilières cassant la baraque du multiproprio combinard: "C'est un peu fictif, cette plus value". En décodé:  tend l'oreille spectateur de la chaîne immo à qui l'on avait conseillé d'acheter les yeux fermés l'année passée et perçoit la sourde déflagration de la bulle qui pète.


Et la journaliste face à Perrin de s'inquiéter. "Quelle est la raison de cette baisse des loyers ?"


Perrin tempère: "Le prix du loyer n'est pas fixé par le marché.[Marrant, c'est l’alibi inverse que nous sortaient jusqu'à présent les propriétaires pour expliquer leurs loyers hors de prix: "ce n'est pas moi qui fixe le prix, mais le marché"]. [...] "Le prix du loyer est fixé par la capacité contributive de candidat locataire, or les candidats locataires sont de plus en plus pauvres". [Qu'il est bon d'entendre la voix de la raison mathématique dans la bouche du représentant des bailleurs. Eux qui demandent encore à ce jour plus de 3X le salaire moyen français à un étudiant de première année pour louer un cagibi sur Paris.]


Perrin avoue: le marché des "meilleurs locataires" a été asséché par les aides à l'accession à la propriété. Comme quoi le proprio est un loup pour le proprio. Précisons qu'il était jusqu'à présent parfois bien plus facile de s'endetter pour acheter un pavillon que de voir son dossier locatif accepté pour louer un F4. Il y aura donc une probable inflation des défauts de paiement chez les propriétaires à crédit dans les mois à venir, si chômage et récession persistent. Ce qui ne sera pas le cas, car notre glorieux président va nous sortir de là[1].


Reprenant la ritournelle d'Apparu, Perrin s'attriste de la mauvaise répartition de l'habitat français. Il n'y aurait pas assez de logements à Paris (Faux. Il n'y a pas assez de logements occupés. Rapport que tout est vide. Mais ça, les riches ne veulent pas en entendre parler puisqu'ils veulent rester entre eux) et trop en province (avec les batteries d'aides fiscales immobilières consenties par le gouvernement, la cupidité des promoteurs et l'avidité glaciale des petits proprios, j'ai envie d'écrire : la faute à qui?).


Pour Perrin, les centres-ville ne sont plus destinés aux primos ni même aux secondoaccédants. Les ménages sont exclus des villes et spécialement ceux qui ne se financent que par le travail. Exact, les centres-ville se ghettoïsent, n’acceptant désormais la classe moyenne que sous sa forme touristique, pour faire du shopping ou acheter sa glace deux boules le week-end.  Mais ainsi va le capitalisme lorsqu'il est totalement régulé dans un seul sens: celui du profit pyramidal. Ce qui est le cas dans l'immobilier depuis une quinzaine d'années. 


La ghettoïsation des territoires (riches dans des villes hypersécurisées, pauvres s'organisant autour selon le taux d'endettement dans des strates périphériques progressivement délaissées jusqu'à l'enclavement des plus pauvres) n'est que la matérialisation géographique de la concentration des richesses voulue par les artisans du "bonheur néolibéral".


Rien de tout cela ne serait arrivé sans le concours des classes moyennes qui se sont laissées corrompre par les délices du confort Ikea à deux heures de transport de leur lieu de travail ou/et la promesse d'une "retraite garantie dans un monde incertain" assortie d'une baisse d'impôt que leur procurerait un placement locatif au milieu de nulle part vu que "c'est la pénurie". Les habitants des villes se sont eux-mêmes expulsés de la cité achetant à crédit "la belle vie" d'un pavillon de plus en plus excentré tandis qu'ils investissaient dans des produits immobiliers foireux dans des zones à activité nulle, fiers de couper ainsi à cet impôt qui aurait pu servir, beurk, à construire, préempter ou rénover du logement pour tous, sans discrimination régionale et à prix honnête


La panique dominerait-elle la France des propriétaires? Les députés UMP, conscients qu'il faut redonner des signes d'encouragement (et des loyers) aux spéculateurs pompeusement renommés par les promoteurs et les banquiers "investisseurs locatifs", proposent donc un courageux texte de loi visant à interdire que les précaires du logement, générés par cette politique d'aide aux riches, habitent à l'année dans des caravanes ou des mobile-home. C'est de la concurrence déloyale.


Non mais, un vrai toit c'est important quoi !


[1] mais seulement s'il est réélu.