vendredi 16 mars 2012

Apocalypsimmo #4 : Aidez-les !

Par Seb Musset.

Il est de retour, il a la rage. Jean Perrin, le président de l'Union Nationale des Propriétaires Immobiliers tire la sonnette d'alarme dans un communiqué lacrymal. Parait que la pression fiscale sur les propriétaires est intenable et que ça va finir par les faire fuir de l'investissement locatif.


"Selon les taux d’imposition applicables, il apparaît que la rentabilité nette d’un immeuble locatif ancien tend à se rapprocher de zéro si l’on additionne notamment l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et, le cas échéant, l’ISF et/ou la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus instaurée en 2012."

Que répondre à Perrin? Que depuis que "l'investissement locatif" est devenu un sport national sponsorisé par l'Etat (se défaussant ainsi d'investir dans la construction de logements sociaux), les prix des loyers n'ont cessé d'augmenter, les conditions d'accession à la location sont de plus en plus ubuesques. Peut-il seulement le comprendre? Fiscalité varie, mais souvent proprio ne comprend que profit. Perrin y va donc de son communiqué en attendant, tel le Mickaël Vendetta du PAP, de menacer de quitter le territoire s'il ne peut plus faire du +10% à l'année. Louer n'est pas assez "rentable"? C'est trop compliqué? Personne ne les empêche de mettre en vente. Avec une hausse de +215% en 15 ans dans l'immobilier ancien alors que le CAC 40 en cumulé n'a grimpé "que" de 110% dans la même période, la culbute m'a l'air encore bien indécente.

Jean Perrin dénonce "un matraquage des propriétaires bailleurs". S'il y a resserrement récent, toujours relatif mais "faut bien rembourser notre dette ma brave dame", il reste de la marge avant de récupérer les dizaines de milliards d'exonérations fiscales cramées lors de la dernière décennie. Et  certains mécanismes sont encore bien effectifs !
(Le retour du Jedi les a recensés pour vous.)

Des mécanismes se retournant parfois sur "les petits épargnants" voulant se la jouer maître des loyers d'un ou plusieurs Scellier à Nullepartville mais avantageant toujours celui disposant d'une bonne assise financière et pouvant encore acheter aujourd'hui en plein Paris (là où le m2 est le plus inabordable pour le commun des mortels) une studette avec une ristourne finale de 40%. Ne parlons pas des ribambelles de propositions que je reçois pour "investir" dans l'immobilier en Allemagne (l'immobilier y est 2X moins cher qu'ici, ça aiguise les appétits) ou en Israël. 

Et Perrin d'enfiler les perles sur le requiem pour un bailleur martyrisé:
"Les revenus fonciers sont donc déjà plus taxés que les revenus du travail ou ceux de capitaux mobiliers."

Suggérons à Perrin d'aller bosser à l'usine, s'il veut être moins taxé. Concernant l'ISF et l'immobilier, basé sur mes modestes observations en milieu thuné: les 2/3 des propriétaires qui devraient s'en acquitter à cause de leur(s) maison(s) passent au travers, du fait de son mode de calcul basé sur la comparaison avec un bien présentant des critères rigoureusement identiques (compliqué à établir, spécialement dans l'ancien).

Pour ce qui est du "risque" de fuite des spéculateurs de la pierre, l'immobilier étant un de ces rares domaines où la créativité individuelle n'a d'égale que la souplesse morale du législateur: je ne m'inquiète que moyennement. Exemple: Dans le numéro du 7 mars de l'Expansion spécial immobilier, après 20 pages nous rabâchant que la pierre est à la fête à Paris (un indice chez vous: le nombre de SDF explose) et que c'est "encore le moment d'acheter", un publi reportage didactique nous explique le pourquoi du comment de "la location meublée" (comprendre avec un frigo cash converter à 60 euros) à bail réduit. Figurez-vous qu'elle offre une rentabilité 15% supérieure à "la location vide" pour un travail bien moindre, avec une imposition classée "bénéfices industriels et commerciaux": bien plus avantageux que la location traditionnelle.

Autres exemples parmi les propositions indécentes, surfant bien sur la légalité, régulièrement reçues (notez l'argumentaire, cliquez pour agrandir):




Alors Perrin, heureux ?

Non. Jaloux des avantages dont bénéficient les proprios de la première destination touristique mondiale, et pour "encourager l’investissement immobilier dans l’ancien", le patron du syndicat des proprios demande au gouvernement:
"- une baisse de la fiscalité des revenus fonciers,
- le rétablissement d’un abattement de 15 % sur les revenus fonciers,
- l’instauration d’un amortissement des immeubles acquis par les particuliers sur 30 ans,
- le plafonnement de la hausse de la taxe foncière."

Dans une première version de son communiqué, plus ambitieuse, il exigeait 100 balles et un Mars. Mais, au dernier moment, il s'est retranché dans le camp de la raison.

Et Perrin de conclure: "Il est primordial que la fiscalité ne vienne pas, en étant trop fluctuante et confiscatoire, pénaliser ceux qui ont fait le choix d’investir à long terme dans l’immobilier."

Une fiscalité fluctuante et confiscatoire? Elle va depuis 15 ans strictement tout le temps dans le sens de la bulle en multipliant les aides à l'accession à la propriété et à la défiscalisation (rien que la  TVA réduite sur les travaux à coûté 5,2 milliards à l'Etat en 2011, le PTZ encore 1.2 milliard, l'aménagement Girardin 4,7 milliards). Investir à long terme dans l'immobilier? Si je dois retenir une chose de ma petite expérience de 15 ans dans la torride jungle du bailleur, de la province à Paris, du jeune au vieux, c'est la cupidité décomplexée et bien évidemment l'absence totale de vision à long terme étant entendu que mes interlocuteurs se divisaient en deux parties:
1 / Ceux qui ont acheté un bien et sont convaincus que l'immobilier ne va jamais baisser.
2 / Ceux qui ont hérité d'un bien et sont convaincus que l'immobilier ne va jamais baisser.

Si la seule vision à long terme a des allures d'indiscutable certitude de type "bibiche, tu verras on va s'enrichir en revendant", cette dernière est vite rattrapée par un souci, lui, à très courte vue: "Purée Bibiche, faut rentabiliser fissa".

Nos proprios ont donc souvent recours à la "machine à sous", l'autre nom du locataire. Rien de tel qu'un type ou une famille sans alternative, coincés hors du logement social, pour s'assurer une confortable rente. Comme on dit à Athènes, le pauvre est un investissement dont l'on peut tirer des dividendes jusqu'à cessation d'activité. Ce n'est pas un hasard si, au même moment, la FNAIM suggère  un mécanisme "BP 3" qui lui permettrait de récupérer le marché du social (et ses commissions) via les bailleurs privés (et leurs commissions) avec, ce coup-ci, abattement à 100% (allons-y tant qu'à faire) sur les revenus fonciers des proprios.

Ça donc commence donc à chauffer sur le front de l'immobilier, les possédants n'ont pas l'intention de se laisser spolier par un marché à la baisse, et appelle à l'aide la main invisible ...de l’état.

Ils veulent investir? Qu'ils investissent dans les PME, qu'il investisse dans l'innovation, qu'ils fassent le pari de demain au lieu de chercher à conserver leurs avantages fiscaux au détriment d'une population captive.


Espérons que le ou la prochain(e) président(e) prenne la mesure de l'enjeu et sache pour qui trancher.


La condition préalable étant, bien sûr, d'en changer. Hein ?



* * *

P.S: De l'autre côté, loin des alchimies fiscales des bien-logés, chez ceux potentiellement éjectables à partir de demain matin 6h, on s'organise également avec la création du 115juridique.org site mettant à disposition le travail du DAL pour permettre aux avocats, mais aussi aux militants, bénévoles ou sans-abris ayant quelques compétences juridiques de saisir la justice administrative en cas de refus d'héberger les personnes sans-abri.

Illustration : apartmenttherapy.com

mardi 13 mars 2012

Quand le logement craque en silence

Par Seb Musset

Je sais que je devrais aborder ces sujets cruciaux en période électorale tels la cuisson de la viande, la vie monacale de Carla-Cosette Bruni-SarkoCaSuffit ou les risques de ghettoïsation en chalet helvétique des gardiens de but. 

Mais non. N'écoutant que mon courage, j'ai décidé de m'aventurer hors des sentiers battus d'une campagne présidentielle télévisée au-delà du médiocre où un journaliste du service public au JT  trouve prioritaire de demander 4X de suite au candidat socialiste lors s'il y'a trop d'étrangers en France.

Je me coltine donc ces sujets mesquins, ces thématiques ingrates pour nos éditocrates de palais, pourtant classées parmi dans les premières préoccupation des Français:

Ta-daa... Le logement !

Règne comme un affolement depuis janvier dans les médias au sujet de la baisse des prix constatée un peu partout sur le territoire. Une baisse à l'achat toute relative après une hausse de 135% en 10 ans. Quant aux loyers, après une poussée de 30% sur la dernière décennie, la moyenne nationale recule ce mois-ci de.... 0,1 %. Houla, grosse claque pour les bailleurs!

Le Nouvel obs, emporté sa légendaire passion pour les problématiques quotidiennes du prolétaire, sort ce mois-ci un dossier "Immobilier en France: comment profiter de la baisse?"  Pour l'occasion, son partenaire, Europe 1 aka Radio proprio, s'est fendue d'un bon sujet d'autopromo en tête de flash à 7h30 jeudi matin. Il en ressort, avec force témoignages que, bon, les pauvres ils ne font rien qu’embêter les riches leur empêchant d'empocher d'aussi belles plus-values qu'avant. Et les locataires, ces derniers des derniers, osent maintenant discuter les prix auprés du bailleur et critiquer l'état de ces travaux. Bah quoi, il est pas bien mon sanibroyeur à manivelle ? Non mais où va-t-on ? Bientôt, pour 700 euros par mois, ils vont exiger un isolement phonique et même des fenêtres !



Depuis des années ce blog combat la ligne du "tous propriétaires" (idéologiquement contestable mais surtout intenable dans un climat continu de dégradation de l'emploi et des revenus) pour privilégier celle du "tous bien logés". Il y a encore quatre ans, proclamer qu'acheter sans pognon était "une connerie", vous vouait illico à l'excommunication de l'apéro par vos jeunes amis primo-accédants (endettés graves, ndlr). En mars 2012, si j'en crois le dernier rapport du CREDOC, Propriétaires, locataires : une nouvelle ligne de fracture sociale, c'est devenu une conviction partagée chez mes compatriotes.

Publiée au début du mois, l'étude révèle que 8 Français sur 10 préfèrent que "tout le monde puisse disposer d’un logement confortable pour un coût raisonnable" plutôt que "tout le monde puisse devenir propriétaire de son logement".  La France aurait donc fait un sacré chemin depuis son sacre de l'individualisme roi et de l'enrichissement par la maison en 2007! Plus marquant, le graphique ci-dessous indique que c'est la catégortie des heureux endettés de l'apéro de 2007 qui affiche aujourd'hui la plus grande réticence quant au concept de "France des Propriétaires". Le vernis craque: l'accession à la propriété à crédit, survendue par les médias et Nicolas Sarkozy comme un mode imparable d'enrichissement, s'avère contraindre au quotidien les accédants endettés les plus modestes, avec la perspective de les "appauvrir" virtuellement en cas de probable (et parfois déjà effectif) de retournement des prix.

(cliquez pour agrandir.)

Le rapport du CREDOC se concentre sur le décrochage entre locataires et propriétaires, fossé qui n'a cessé de se creuser en 20 ans et arrive à ses limites comptables. Si la proportion de hauts revenus devenant propriétaires n'a cessé d'augmenter, à l'inverse, l'acquisition à la propriété par les bas revenus est en chute libre (de 50% en 1990 à 31% en 2011). De plus, on ne peut plus acheter sur la base d'un seul salaire, or les parcours familiaux sont presque aussi accidentés que les parcours professionnels.

"...le parc locatif est devenu, progressivement, de plus en plus marqué sociologiquement en accueillant toujours plus de ménages jeunes, célibataires et aux revenus modestes. Si bien que la hausse des loyers, pourtant moins spectaculaire [30% en 10 ans, 47% dans le privé alors que l'inflation a été de 19% sur la même période] que celle des prix à l’achat [107% dans l'ancien], pèse de plus en plus lourd sur le budget des locataires".


Conséquence: les locataires grignotent sur leur consommation. "44% des foyers ayant de lourdes charges de logement déclarent devoir se restreindre en matière d’alimentation" [...] "De même, 17 % des ménages avec d’importantes charges de logement sont en situation de précarité énergétique, contre 7 % lorsque les sommes consacrées à se loger sont raisonnables". Forte est la probabilité de retrouver des ménages à fortes dépenses de logement dans les 29% des français qui ont renoncé à se soigner en 2010


Double impact pour le locataires à faibles ou moyens revenus: Dégagés de l'accession à la propriété parce pas assez solvables et / ou célibataires, ils se retrouvent étranglés à la location.


Je serais plus nuancé que le rapport dans son opposition locataire / propriétaire: l'acquisition à la propriété assortie d'un endettement massif, et donc étalé dans le temps, couplé à la hausse des charges et des prix de l'énergie, pousse les ménages moyens de jeunes propriétaires exactement dans la même situation (voire pire) que les locataires à revenus équivalents. 

(Nostalgie des années 2000 quand tu nous tiens)

Là-dessus, l'héritage renforce les inégalités. Les revenus petits ou moyens qui jusqu’à présent "primo-accédaient" à la propriété le pouvaient la plupart du temps en partie grâce à quelques aides familiales ou transmission partielle d'héritage avancé (Je ne connais aucun trentenaire, et notamment de l'apéro susmentionné, ayant accédé à la propriété sans, à un moment ou à un autre, bénéficier d'une aide familiale). Non seulement, des centaines de milliards sont déjà immobilisés dans l'immobilier alors qu'ils pourraient être injectés ailleurs, mais une bonne partie du pognon va, vient et fructifie en cercle fermé.

D'un côté, depuis 15 ans, les propriétés s'accumulent ou s’agrandissent pour les uns. De l'autre, ceux qui ne sont pas rentrés dans le cycle de la propriété via l'endettement bon marché et / ou n'ont pas eu d'aide familiale, sont condamnés à s'entasser dans des surfaces de plus en plus petites, même s'ils sont salariés[1].


Résumons les épisodes passés: Les taux baissent, les prix montent. Ceux qui ont déjà le pognon, et n'ont pas besoin de s'endetter lourdement en profitent (pour reprendre le terme du nouvel obs). Du coup, les prix montent encore plus (pour tous) et les transactions s'accélèrent entre riches[2], les intermédiaires se gavent. Les revenus plus faibles sont poussés durant 10 ans vers l'endettement (souvent au prix d'un exil des villes et centres d'activité OPAisés par les riches), les autres sont repoussés vers la location (entre temps devenu un large secteur de spéculation et d'abus). La droite accélère le mouvement en allégeant l’impôt sur les successions et en subventionnant massivement de fumeux placements immobiliers défiscalisés (les deux bénéficiant en priorité - comme l'exploitation locative - à ceux qui ont déjà de l'argent). Peu à peu, ceux qui ont le pognon s’accaparent tous les biens (pour spéculer ou non), se les rachètent entre eux pendant un temps. En bout de course, la demande se contracte 1 / par manque de nouveaux arrivants 2 / par manque de solvabilité des locataires 3 / Parce que ceux-là sont résignés: ils ne seront jamais propriétaires. Les propriétaires paniquent, ils ne "s'enrichissent plus comme avant": la presse s'inquiète et sort un numéro spécial (mais ne l'inclue pas dans une perspective présidentielle[3]).



(Dans la foulée du Nouvel obs, la même semaine, L'Express ose l'alternative)

Les pauvres, eux, ont baissé leur consommation, leur frais de santé et s'entassent les uns sur les autres depuis des années (dépensant pour certains 700 euros pour un taudis alors qu'ils en gagnent 900, ou se faisant tabasser par un proprio un peu pressé de renégocier les tarifs: deux exemples vus ce mois-ci à Paris) dans l'indifférence des éditoralistes.


Nous en sommes là. A 3 jours de la reprise des expulsions locatives concernant 100.000 personnes. 100.000 SDF potentiels de plus (à carte d'identité française, si ça peut faire avancer le débat).


Peur des hauts revenus à l'idée de l'arrivée de la gauche au pouvoir, finances au taquet d'une large partie de la population et attentisme des CSP+ quant à la suite des évènements fiscaux post-6mai, le marché immobilier est aujourd'hui figé. Le marché du logement, lui, n'a pas changé. Quasi absent du débat politique dans les médias alors qu'il est le signe le plus flagrant, avec la précarisation du travail, du décrochage social de tout un pan de la société. Rarement depuis 60 ans, il y aura eu une telle urgence à redéfinir notre paradigme immobilier, et enfin bâtir une société du logement pour tous.   Rarement, on en aura aussi peu parlé dans une campagne présidentielle[4]. Le logement pour tous est plus qu'une finalité, c'est la condition minimale pour parler avec un peu de sérieux, et d'optimisme, de tous les autres problèmes de notre pays.



* * *

[1] Si l'un de vous peut me retrouver le chiffre de la répartition du foncier français selon les revenus, il en sera grandement remercié.


[2] Et le Crédoc de noter "Tout le monde n’est pas perdant dans cette hausse des prix des logements. Le patrimoine des propriétaires a en effet considérablement augmenté. Un ménage qui a acheté un appartement ou une maison il y a 15 ans au prix de 200 000 euros dispose aujourd’hui d’un patrimoine de 500 000 euros. La valeur de ce patrimoine s’est accrue de 1 670 euros par mois."

[3] Facette du "modèle allemand" bizarrement sous évoquée ici. Avec un contrôle de l'immobilier et des loyers, l’Allemagne a connu une hausse "seulement" de 20% des prix dans l'ancien en 10 ans, contre 135% ici dans la même période.

[4] Le Front de Gauche, Le NPA, Europe Ecologie et le PS font, chacun à leur manière, une grande place à cette thématique dans leur programme, mais sont peu questionnés sur le sujet à la télé ou à la radio.


Illus : Rocknrolla G.Ritchie (2008)


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